Petite histoire des comics en France, épisode 1 : 1969, année fantasktique !

Posté le 22 avril 2014 par

Nous sommes au début de l’année 1969 quand surgit en kiosques, au milieu des petits formats d’illustrés destinés à la jeunesse, une publication qui va changer l’histoire de la Bande-dessinée en France. Son nom : Fantask !

Fantask 1-7 (1969)

L’histoire de Fantask est celle paradoxale d’un échec annonçant un triomphe complet. À la fois le récit d’un rendez-vous manqué, puisque la publication fut éphémère et ne dura que 7 petits numéros avant de succomber sous les foudres de la censure, marquant durablement les esprits quant au caractère « nocif » des comics, mais également l’annonce d’une spectaculaire réussite. Fantask marque ainsi un point de départ de l’histoire des comics en France, au point d’éclipser totalement dans l’imaginaire collectif les publications précédentes, notamment celles d’Arédit/Artima, qui publiait par exemple depuis 1956 du matériel américain dans des titres comme  Big BoyAventures Fiction ou Étranges Aventures. Nous y reviendrons, fidèle lecteur, dans un futur épisode flashback.

Étrange aventures

Lug, le petit éditeur lyonnais responsable de Fantask, se positionne en effet de manière complétement novatrice, et prend par surprise son concurrent, en sortant d’un côté un titre entièrement en couleur, de l’autre en ciblant un public jeunesse, et surtout en publiant pour la première fois des comics Marvel en France, là où les petits formats d’Arédit/Artima proposait des récits DC en noir et blanc à un public expressément adulte, avec un macaron interdisant sa vente aux mineurs. C’est d’ailleurs ce double positionnement qui sera la cause de son fulgurant succès et de son rapide échec. Alors que le courrier des lecteurs s’émerveille devant la qualité de la couleur et de l’accessibilité des récits surnaturels, la Commission de Surveillance et de Contrôle créé par la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse juge ainsi rapidement : « Cette publication est extrêmement nocive en raison de sa science-fiction terrifiante, de ses combats de monstres traumatisants, de ses récits au climat angoissant et assortis de dessins aux couleurs violentes. Et l’ensemble de ces visions cauchemardesques est néfaste à la sensibilité juvénile. » À l’époque déjà, le jugement parait excessif, mais réussit tout de même à convaincre des générations de la violence des comics.

Fantask 1Lug décide suite à cet avis de stopper la publication après 7 numéros, relançant deux nouveaux titres en bichrome : Marvel, qui connaitra le même sort au bout de 13 numéros, et Strange, avec la pérennité qu’on lui connait. Rien pourtant dans les épisodes publiés ne justifient une telle colère : Lug offre en 1969 à ses lecteurs les premiers numéros des Quatre Fantastiques et de Spider-Man, datant de près de 10 ans et les aventures du Surfer d’Argent, dont les fables morales paraissent inattaquables. Les visions titanesques de Kirby, Ditko et Buscema impressionnent apparemment plus les censeurs que le sens de la famille des Fantastiques, des responsabilités de Spider-Man ou du message humaniste du Silver Surfer. D’autant que les récits de Stan Lee se présentent clairement comme de la Science-Fiction, un « mauvais genre » qui, malgré son succès, a encore très mauvaise presse en 69.

On peut cependant également supposer que la décision n’est pas seulement motivée par des motifs complétement désintéressés, et qu’un certain protectionnisme voyant d’un mauvais œil une invasion de bande-dessinées américaine venant concurrencer les productions franco-belge a pu peser dans la décision. Ce qui parait cohérent avec le fait que la commission est composé à la fois de personnes issus d’associations familiales, souvent conservateurs et catholiques, mais aussi de communistes, peu enclins à voir l’idéologie capitaliste que véhiculent les super-héros polluer les esprits de nos adolescents.

Fantask 1

D’autre part, on peut également s’étonner de l’empressement avec laquelle Lug décide de supprimer son magasine. Contrairement à ce que suggère le message, aucune interdiction n’est encore énoncée dans le texte reçu, mais uniquement une menace de poursuites, qui auraient vraisemblablement débouchée sur une interdiction de la vente aux mineurs, réduisant à la fois le lectorat, et exposant le titre à une T.V.A beaucoup plus élevée. Plutôt que de prendre le risque d’une telle condamnation Lug préfère abandonner le combat avant même que le premier coût soit porté, mettant ainsi en branle tout un système d’autocensure qui perdurera jusqu’aux années 90.

Soyons clair : si Fantask a une importance considérable en tant que pionnier et a génialement façonné notre manière de lire des comics en France, en publiant dans un recueil 4 épisodes américains de séries différentes (deux épisodes de Fantastic Four, un de Spider-Man et un de Silver Surfer), et nous a introduit l’univers Marvel en France à une époque où personne d’autre n’en voulait et particulièrement défavorable à une telle percée, il a aussi instauré quelques tares qui auront la vie dure : autocensure constate, saut d’épisodes, parfois publiés dans le désordre, parfois coupés en plusieurs parties, un format tronquant certaines cases, voir certaines pages entières, des retouches perpétuelles, des séries présentées sans cohérence éditoriale et même chronologique, une traduction souvent approximative, un accompagnement éditorial hors-sujet (c’est le début des compléments éducatifs, comme « Comment conduit-on une Formule 1 ? »)…

Fantask 6

En 7 numéros, Fantask présente ainsi les 18 premiers numéros des Fantastic Four de Stan Lee et Jack Kirby, à raison de deux par magasine. Pas besoin d’être Red Richard pour se rendre compte que certains sont oubliés au passage, et que cela commence déjà à rendre la cohérence de l’ensemble, basée sur la continuité, un peu bancale. Lug décide ainsi dans son premier numéro de Fantask de publier uniquement les premières pages du Fantastic Four 1, relatant leurs origines, et de passer au troisième récit, laissant de côté le # 2, pourtant crucial, puisqu’il marque la première apparition des Skrulls dans l’univers Marvel. Ce saut posera problème quand le Super Skrull décidera de venir venger ses compatriotes (hypnotisés et changés en… vaches) dans FF # 18 dans Fantask # 7, et au traducteur quelques galipettes. Il faudra d’ailleurs attendre 2003 et L’intégrale des Fantastique Four 1961/1962 pour enfin découvrir cet épisode en VF !

L’autre épisode manquant est le #13, mettant en scène le vilain communiste le Fantôme Rouge et ses super-singes, certainement mis de côté en raison de ses références à la guerre froide et son positionnement politique, résolument anti-communiste, à une époque où le PCF était très puissant, notamment dans le monde de la bande-dessinée (avec des publications comme Vaillant ou Pif). Et quand on sait que des membres du PC faisaient partis de la commission qui allait s’opposer à la publication de Fantask, ce choix parait plutôt sage, mais fait par la même occasion rater le premier rendez-vous des lecteurs avec Le Gardien, personnage central de l’univers Marvel.

Extrait de Fantastic Four # 13

Extrait de Fantastic Four # 13

Si dans l’ensemble, les premières aventures des Fantastiques sont bien accueillies, elles ont du mal à rivaliser avec l’enthousiasme que suscitent celles du Surfer d’Argent, au point de rester pendant longtemps le plus populaire des super-héros en France. Et ce même si son origine reste un mystère à l’époque, puisqu’il apparait bien plus tard dans les pages des FF (dans Fantastic Four # 48 en VO et le premier Album des Fantastiques en 1973 en VF) Il faut dire que les premiers épisodes des Fantastic Four peuvent avoir un petit côté vieillot en 1969 et que le trait de Kirby n’est pas encore aussi percutant que celui du King que l’on connait sur la suite de la série. Son dessin s’affirmant même exactement au moment de l’arrêt de Fantask, comme peut en témoigner sa manière de dessiner la Chose, qui passe d’informe amas en une formation en brique très dessinée dans l’épisode 18. Le petit format ne rend de plus pas justice à la série, encore très bavarde et très découpée, quand celle du Surfer d’Argent présente souvent uniquement 4 cases par planche, s’adaptant mieux aux exigences de lecture de l’époque.

Surfer d'argent, FantaskPour faire durer le plaisir, Lug découpe même les longs (40 pages) épisodes de la série du Surfer en 2. Et si l’un des meilleurs épisodes, le 3, mettant le Surfer au prise avec Mephisto, est zappé, Lug réalisera son erreur et le publiera bien rapidement dans Strange 13 et 14. Car malheureusement, la série marque les esprits des français, mais a beaucoup moins de succès aux États-Unis, où les errements métaphysiques d’un être plus prompt à se lamenter sur la condition humaine qu’à rosser ses ennemis avec ses puissants pouvoirs cosmiques, ennuie son lectorat américain et est annulée au bout de 18 épisodes. Lug publie donc les 6 premiers dans Fantask, et poursuit l’année suivante dans Strange, avant de proposer de nouveau son intégralité dans Nova en 1978. Sans surprise, lorsque Moebus s’associera à Stan Lee en 1988, ce sera pour mettre en scène sa vision du Silver Surfer, témoignant encore de l’engouement suscité par cette première apparition.

Étrangement, c’est Spider-Man qui fait figure de canard boiteux de Fantask. Il faut dire que le pauvre Peter Parker n’a pas vraiment le droit à sa chance. Lug ignore d’abord qu’il est apparu dans Amazing Fantaisy # 15 et ne présente donc pas ses origines en commençant la publication avec Amazing Spider-Man # 1. Il fait de plus son entrée avec un peu de retard au numéro 5 seulement, avec la fameuse couverture le présentant avec les Fantastiques. De plus, Lug ne publie que des bouts d’histoire des deux premiers numéros et seul le # 3, relatant la confrontation avec Octopus, permet de découvrir un récit un peu plus ample pouvant éventuellement rivaliser avec ceux des 2 autres séries. Mais il arrive déjà trop tard : dans l’ultime numéro de Fantask. Le trait de Steve Ditko, surtout dans ces premiers épisodes, parait de plus un peu sec et figé au public de l’époque, et il faudra attendre bien des années avant que l’Homme Araignée ne devienne le plus fameux des super-héros en France.

fantask 5

En attendant, avec le dernier numéro de Fantask en avril 70, les lecteurs ont l’impression qu’une page de rêve se referme, avec l’annonce en pleine page centrale de la décision présentée comme sans appel de la commission de censure, mais un petit mot, glissé en toute fin du courrier des lecteurs, permet de prévoir qu’une porte s’est à peine entr’ouverte : « Nous pouvons dès maintenant vous annoncer une bonne nouvelle. Vous trouverez les héros de Stan Lee: Daredevil, Iron Man, le Surfer d’Argent, X Men dans le Mensuel STRANGE qui paraîtra le 5 janvier 1970. » Ce sera par contre plutôt Marvel, publié en avril 70, qui qui prendra la suite de Fantask en présentant les FF là où l’on s’était arrêté et proposera une vision de l’univers cosmique de Marvel, là où Strange, mis à part la mise en avant de la valeur sûre qu’est le Surfer, aura une touche plus « urbaine », mais c’est une autre histoire…

Fantask

Fantask # 1-9, côtés autour de 100 euros l’unité.

Fantask 1-7

Contient :

Fantastic Four # 1-18 (sauf les 3 et 13), à retrouver également dans les Intégrales Fantastic Four tome 1 (1961-1962) et 2 (1963), tous deux épuisés.


Silver Surfer # 1-6 (sauf le 3), à retrouver également dans l’Omnibus Silver Surfer

Amazing Spider-Man # 1-3, à retrouver également dans l’Intégrale spider-Man tome 1 (1962-1963).

Victor Lopez.

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