Analyse de planches : Neal Adams, First X-Men

Posté le 22 avril 2014 par

43 ans après sa prestation sur X-Men en 1969, Neal Adams revient sur les mutants avec First X-Men, une mini-série en 5 parties se déroulant avant les premiers épisodes de la série de Stan Lee et Jack Kirby. L’occasion d’analyser l’évolution du trait de l’auteur, et de revenir sur son art du découpage.

X-Men First ClassSi les répercussions des récentes adaptations cinématographiques de Marvel sur les comics dont ils sont tirés sont souvent désastreuses (lire – ou pas – Avengers Assemble de Bendis et Bagley) ou énervantes (l’épouvantable inclusion forcée du nouveau Nick Fury Jr. et de l’Agent Coulson), First X-Men vient prouver que l’on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise. La genèse du projet de Neal Adams et de Christos Gage n’est certes officiellement pas liée au film X-Men : First Class, mais il est difficile de croire à une pure coïncidence lorsque l’artiste évoque pour la première fois sur Twitter son retour sur les enfants de l’atome en juin 2011, soit le mois de la sortie d’un film revenant également sur le passé des personnages. X-Men : First Class a sans doute aidé à la mise en place de First X-Men. Marvel, qui poussait déjà Neal Adams vers une histoire mettant en scène Wolverine pour son retour à la Maison des Idées, pensait certainement attirer par ce titre les spectateurs du film. Mais l’influence du film sur le comics est quasi-nulle. C’est à peine si l’on aperçoit un Magneto chasseur de Nazis et un Xavier plus insouciant qu’à l’accoutumé aux détours de planches qui apparaissent comme un passage obligé et loin d’être central. Et on peut penser que ces planches sont moins là pour coller avec le film que pour présenter un back-ground cohérent avec les premiers épisodes des X-Men, censés se dérouler juste après.

C’est d’ailleurs l’un des points positifs de cette mini-série : l’écriture, tout en présentant des facettes inexplorées du passé des X-Men, est en adéquation totale avec la continuité Marvel, et se relève parfaitement cohérente avec ce qui va suivre. « Il y a des années », bien avant que Xavier ne récupère 5 jeunes surdoués, Wolverine convainc son collègue mercenaire Dent-De-Sabre de la nécessité de s’occuper des jeunes mutants qui commencent à apparaître partout dans le monde, et de leur offrir un avenir autre que rats de laboratoire pour le gouvernement. Cette exploration du passé de Wolverine éclaire alors logiquement son statut actuel de directeur de l’école Jean Grey, qui pouvait paraître un peu contradictoire avec le CV qu’on lui connaissait jusqu’alors. On reconnait d’ailleurs dans ce respect de la continuité un trait du travail de Neal Adams, qui aime respectueusement compléter les vides laissés par les scénaristes antérieurs et chercher des explications, tout en s’amusant à laisser lui-même des portes ouvertes que d’autres auteurs pourront plus tard refermer.

NealAdams_portraitC’est ainsi une série de questionnements qui, selon les mots de l’auteur lui-même, aurait motivé la direction de First X-Men : « Qu’est ce qui a poussé Xavier, un jeune et brillant scientifique à devenir cet intense protecteur des mutants du monde entier, dévoué corps et âme à sa cause, sacrifiant sa vie à ces êtres qui sont les victimes de la société ? Quel rôle Wolverine, qui avait déjà un certain âge à cette période, a joué dans cette évolution ? Qu’à fait Wolverine à Dent-De-Sabre pour qu’il le déteste à ce point ? Il le hait avec une rage qui va presque au delà de la folie. Personne ne peut être comme ça sans raison. Qu’est-ce qui s’est passé entre eux ? Wolverine peut-il accomplir cette mission, où est-ce justement parce qu’il ne peut pas la remplir qu’il va falloir quelqu’un comme Xavier pour la poursuivre ? Qu’est-ce qui pousse sans cesse Wolverine, qui est un solitaire, à revenir vers les X-Men ? »

(Source : Marvel.com).

Et bien sûr, la narration permet aussi quelques amusants clins d’œil, comme une apparition de Namor en clochard amnésique, dont la suite des aventures est à lire dans Fantastic Four 4 de 1962.

Namor First X-Men

Le travail de Christos Gage sur l’œuvre était d’ailleurs principalement de faire la chasse aux incohérences, en vérifiant chaque détail avec les éditeurs de Marvel. De manière amusante, les deux hommes semblent avoir travaillés sur First X-Men à la « manière de Marvel »… des années 60 ! À l’époque, Stan Lee avait instauré une méthode suivant laquelle il pitchait l’histoire au dessinateur, qui était libre de la découper en 24 planches comme il l’entendait, alors que le scénariste revenait in fine pour insérer les dialogues. Ici, les dessins, le découpage et l’histoire, vérifiée par Christos Gage, qui est aussi crédité comme dialoguiste, sont de Neal Adams.

First X-Men est donc l’œuvre d’un auteur complet, qui revient sur des personnages qu’il avait marqué de son trait en 1969, à l’occasion de dix épisodes, figurant parmi les plus intéressants et dynamiques de la série. C’est d’ailleurs ce dynamisme qui marque d’abord avec la plume d’Adams. Elle ne recherche pas la beauté mais une forme d’efficacité, soulignée par une tension permanente entre un ultra-réalisme et une exagération des expressions, notamment une constante agressivité. On retrouve bien cette dynamique réalisme/expressionisme dans les dessins de First X-Men, malheureusement un peu gommée par une mise en couleur totalement ratée de Matt Wilson. Trop vives et voyantes, les couleurs tendent à refléter certainement les années très pop où se déroulent l’action, mais ont tendance à aplanir la singularité du trait d’Adams.

First X-Men 1First X-Men 1 01

Planche originale : On sent dans cette première planche simplement ancrée par Adams ce souci du détail réaliste, aussi bien dans les décors avec ces perspectives très détaillées sur les rues d’Harlem que dans la physiologie des personnages, et cette volonté d’exagération des expressions, notamment sur le visage de Wolverine sur la dernière case, à telle point que les dessins de Neal Adams se passeraient presque de dialogue tant leurs signification est évidente. Autant d’élément que les couleurs ont tendances à aplanir plutôt que de souligner, tout en accentuant l’effet de surcharge ou de trop plein, un des rares éléments que l’on peut reprocher aux mises en pages de Neal Adams.

Planche couleur : Dominantes de couleurs chaudes et vives, présence de violet, cartouches jaunes, orange en fond : le réalisme du trait d’Adams en prend un coup, ainsi que l’expressivité des personnages, rendu plus classiques par ces couleurs trop communes dans les comics.

Et concernant le trop plein, ce sont surtout les couvertures qui reflètent cette tare. Pour exemple, celle du premier numéro, mettant en scène une équipe que l’on ne trouvera pas vraiment au cours du récit (Magneto ne se battra pas aux côtés des protégés de Wolverine, la jeune fille du fond ne dispose pas de super-force, mais d’un pouvoir d’illusion, proche de celui du Cerveau (Mastermind), l’un des membres fondateurs de la Confrérie des Mauvais Mutants de Magneto :

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Passons donc la laideur des couvertures et la mise en couleur hors-sujet, pour nous concentrer sur ce qui fait l’intérêt de Fisrt X-Men : les retrouvailles avec le trait d’Adams. S’il faut avouer que son dessin n’a plus l’impact, la force et l’originalité qu’il avait dans les années 70, le maître est quand même en grande forme ici, comme le montre ces 3 planches, tirés du numéro 5, ultime épisode de la mini-série : une scène d’action, une scène de dialogue, et une interrogeant l’angle de vu du spectateur.

Page 1 : Sauter de la case

Neal Adams, First X-Men

C’est le combat final. Wolverine et ses jeunes mutants, réfugiés dans un châlet, sont attaqués de toutes parts : de l’extérieur par des Sentinelles, de l’intérieur par le mutant Virus, sorte de parasite qui contrôle mentalement certains membres de l’équipe, dont Dent-De-Sabre.

L’impression qui se dégage de cette planche est donc avant tout chaotique : l’attaque est surprise et éclaire. Comme les personnages, le lecteur est plongé dans l’action, qui le prend de court. Afin de retranscrire cette impression, Neal Adams découpe sa planche en 3 bandes horizontales et sature ses arrière-fonds d’explosions (case 1) ou de débris, conséquences de cette explosion (cases 3). Aucune des vignettes n’a le même format, la première n’occupe pas toute la largeur de la page et la dernière est plus haute, créant une dissymétrie qui vient rajouter à la confusion. Mais surtout, les cases sont séparées par des bandes-blanches, que traversent les antagonistes des héros : Virus est superposé entre les cases 1 et 2, alors qu’une Sentinelle de la case 3 dépasse sur la case 2, soulignant par leur omniprésence la domination des assaillants, qui mènent clairement la danse. Cette manière de jouer avec « l’entre deux cases » est l’une des signatures de Neal Adams. En plus de souligner la spécificité des personnages (Virus saute d’une case à l’autre et entre les cases comme il le fait avec les corps qu’il infiltre et utilise comme pantins ; la taille imposante de la sentinelle, qu’une vignette n’arrive pas à contenir), cet effet de style dynamise naturellement la planche en lui donnant une élasticité et en guidant intuitivement l’œil du lecteur dans le flot d’informations. Car malgré le chaos qui se dégage de cette scène, le tout est rendu parfaitement lisible par la mise en page d’une limpidité totale. L’échange de coup est découpé dans le temps et l’espace de manière fléchée :

Case 1 : on suit Virus sautant d’un corps à l’autre de gauche à droite en haut de la case, puis Dent-De-Sabre portant un coup de droite à gauche et du haut de la case vers le bas, entrainant le regard du lecteur vers le bas et l’amenant, avec Virus comme passerelle à la Case 2 : Wolverine renvoie le coup, inversant la ligne de force de gauche à droite, alors que la Sentinelle dont le casque dépasse de la Case 3, envoie un coup mortel à Météor, de nouveau du haut-droit de la case au bas-gauche de la case, retrouvant ainsi la construction de la première case. Une bulle de dialogue « Meteor, No ! » incite le lecteur à prêter attention au sort du personnage, alors qu’en arrière fond, nous retrouvons les protagonistes qui étaient en haut à droite de la case 1, finissant le mouvement entamé en début de planche. Cela renforce la symétrie avec la case du haut et indique par la même occasion que toute l’action décrite se déroule en une fraction de seconde, le temps à un coup de poing d’être donné.

Page 6 : multiplicité du cadrage et unicité du point de vu

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Voilà une planche qui montre le talent d’Adams à créer une emphase sur les émotions et l’humain à l’aide de ses simples dessins et de l’efficacité de son découpage.

On a vu Anthony, qui prendra comme nom mutant Boom, dès la première page (dernière case) : c’est lui qui déclenchait l’action puisque Logan partait à sa recherche pour aider son père, et on le retrouve ici structurant cette planche, la dernière dans laquelle il apparait. Il essaye de convaincre Wolverine de ne pas les abandonner, mais leur professeur a déjà pris la décision de mettre fin à ses rêves d’éducation pour se consacrer à la destruction de ses ennemis, délaissant ses recrues qu’il préfère maintenant chasser d’un revers de main. Boom est ici le porte-parole des autres jeunes mutants, qui restent derrière lui. Il n’est seul que dans la première case, et est dans les autres constamment accompagné de ses acolytes. Dès la première case, Wolverine lui tourne le dos, et ne lui fera pas face de toute la planche. Boom est plus petit, en retrait, mais la case adopte pourtant son point de vu. Si l’on part de la sentinelle en effectiant un mouvement circulaire de la bulle (« Squarrkk ») à Anthonny en passant par par la Sentinelle et Wolverine, le regard du lecteur épouse celui du jeune homme et remonte vers Wolverine, puis vers la Sentinelle pour aller vers la case suivante.

La composition en diagonale dans cette première case est reprise de face dans la case 2. Anthony est plus petit que Wolverine, qui lui tourne toujours le dos et essaye de l’éloigner, mais est clairement le centre de la scène. Ce que vient confirmer la case 3, qui zoome sur lui, tout en le faisant chevaucher les case 1 et 3. L’accent est mis sur sa réaction face à la phrase de Wolverine : « You Fail ». Les deux dernières cases, horizontales mais de tailles différentes (la case 4 est bordée de blanc, la case 5 occupe toute la largeur de la page) reprennent cette construction. D’abord un plan large voyant Wolverine découper une Sentinelle mais dont le point de vu épouse toujours celui de l’enfant, avec un point de fuite venant de lui, en bas à gauche et élargissant la focale vers l’ensemble de la scène, alors qu’il enlève le blouson offert par Logan, signe de son désistement. Puis avec la case 5, zoomant sur le personnage en pleur, avec un gros plan extrêmement détaillé soulignant sa déception.

Page 17 : dynamisme de l’exposition et du dialogue

Neal Adams, First X-Men

Cette planche montre que le dynamisme à l’œuvre dans le découpage d’Adams sert aussi les scènes de dialogue et d’exposition, même s’il se trouve que celle-ci est plutôt musclée, puisque Dent-De-Sabre vient menacer Wolverine, qu’il tient pour responsable de la mort de sa petite-amie après l’échec de ses « First X-Men ». Là encore, et même dans une scène « de dialogues », on se rend compte que l’écriture d’Adams est purement graphique, tant les bulles sont presque inutile pour comprendre les enjeux de la scène. Les 6 cases sont découpées de manière complétement asymétriques, aucune n’ayant la même forme, reflétant les rapports de force décrits.

La case 1 est une case d’exposition voyant Wolverine dans un bar canadien. Le cadrage est plutôt serré et Adams ne s’attarde pas sur les détails : à part la serveuse, les figurants sont indistincts, l’accent est mis sur la quantité d’alcool ingérée par Logan. Un billard et des cornes de taureau accrochés au mur suffisent à planter le décor et rendent l’endroit commun : Wolverine est dans un bar typique de routier comme il y en a des centaines au Canada. L’important est que même dans ce décor anonyme, Dent-De-Sabre surgit en conquérant la case 2, imposant sa silhouette massive et dominante. Ou que se terre Wolverine, il le retrouvera. Neal Adams zoome ensuite (case 3) sur le visage de Dent-De-Sabre, détaillant chaque trait soulignant la rage du personnage. À l’inverse, le zoom sur le visage de Wolverine (Case 4) présente un être défait qui a déclaré forfait.

Dent-De-Sabre domine doublement la case 5 : Wolverine est dans le coin gauche, cerné par le visage de son ennemi qui le regarde en haut (case 3, l’utilisation du cercle lumineux du plafond entre les cases 3 et 5 accentue encore l’impression que Dent-De-Sabre se trouve au-dessus de Wolverine) et à droite. Mais Logan ne cédant pas sous la menace Dent-De-Sabre prend la serveuse en otage, qui vient dans la case 6 se glisser entre les personnages, créant enfin une réaction de la part de Logan, signifiée par le décadrage en diagonal de la case et le léger chevauchement de ses cheveux hors de la case.

Pour conclure, et plutôt que d’insister encore sur le génie du découpage de Neal Adams, voici un des petits plaisirs que nous offre First X-Men : le visage de Magneto par son premier dessinateur. Car si Kirby dessine le maître du magnétisme dès X-Men 1, il sera toujours caché sous son masque jusqu’à que Neal Adams décide enfin de découvrir le personnage dans X-Men 62. Quarante ans après, c’est toujours aussi surprenant :

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First X-Men de Neal Adams, Christos Gage disponible en français chez Panini Comics :

En version originale chez marvel Comics :

Victor Lopez.

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